Un petit texte que je retrouve dans mes brouillons alors que le printemps s'annonce. Il n'est jamais trop tard, le voici donc!
Hier, j'ai eu envie d'écrire un texte polémique. Un truc bien senti qui aurait pour sujet la typographie.
Je ne sais pas pourquoi l'idée m'est venue en attendant le tramway dans la neige. Peut-être à cause de la neige et de tout ce blanc…
Le blanc, en typographie, il y en a beaucoup. C'est même l'élément le plus important à en croire de renommés typographes. Je ne dis pas le contraire. Le problème, c'est que le blanc, ce n'est pas simple à déterminer. Bordures, marges, interlignage et -lettrage, «kerning»… tout cela se définit par rapport aux autres éléments que nous avons beaucoup moins de mal à cerner: les signes, qui forment des mots, qui forment des lignes, etc.
Dans le registre du blanc, on a un outil qu'on gère plutôt bien, c'est l'espace. Le «Leerzeichen» en allemand. Là, on a plusieurs termes en stock: sécable ou insécable, cadratin, demi-cadratin, quart de cadratin. Je m'arrête là. Il y a des règles bien précises sur l'utilisation de ces espaces. Donc le blanc entre deux mots ou deux signes, on pourrait croire que c'est un usage acquis. On applique la règle et puis c'est bon.
Alors pourquoi est-ce que certaines habitudes étonnantes allant à l'encontre de ces règles se multiplient-elles? Comme, par exemple – c'est, bien sûr, l'exemple déclencheur – l'habitude de mettre une espace* avant le point d'exclamation!
Certains vont s'offusquer ou fermer cette page. Pas grave. Il faut savoir braver la critique (et peut-être susciter les premiers commentaires). Et je suis intimement persuadée que c'est contraire au bon sens de mettre une espace ENTIÈRE ET SÉCABLE avant le point d'exclamation. Et j'espère bien vous gagner à ma cause.
Mettre une espace avant un point d'exclamation, c'est comme dire que le point d'exclamation est un mot à part entière, une espèce de cri que l'on pousserait à la fin de la phrase pour dire: «Attention, c'était une phrase exclamative!»
C'est comme demander au lecteur de retenir sa respiration avant de finir sa phrase.
C'est comme mettre en balance la phrase entière et le signe qui la clôt.
Non, non et non!
Le point d'exclamation, comme le point ou tout autre signe de fermeture, appartient à la phrase qu'il clôt. Il ne doit pas en être séparé! Qui aurait l'idée de mettre une espace avant un point simple? Ou encore avant une virgule? Personne, parce que la virgule appartient au groupe de mots qu'elle sépare du reste de la phrase. C'est après la virgule que l'on prend sa respiration. De même pour le point d'exclamation.
Je vous accorde que dans les manuels de typographie, il est recommandé d'insérer une espace fine insécable avant le point d'exclamation. Pour des raisons optiques uniquement. On a remarqué qu'insérer une espace fine avant les signes doubles allégeait leur lecture. C'est à cela que servent les diverses espaces, à adapter la rigueur imposée par le sens aux exigences de la lisibilité.
Vous me direz que les programmes de texte ne proposent pas l'espace fine ou encore que la barre longue du clavier est bien plus simple d'utilisation. Je vous répondrai que tout bon programme prenant en compte l'orthographe française** devrait insérer automatiquement cette espace fine avant les signes doubles.*** Et quitte à commettre une inexactitude, autant qu'elle ne touche pas l'ordonnancement de la phrase mais plutôt la forme.
Écrivez donc ceci! Et non pas cela !
* «espace, n.f.» est bien dans le Larousse.
** Je signale que les règles typographiques varient non pas d'une langue mais d'un pays à l'autre. Prenez garde!
*** Cela vaut aussi bien sûr pour le point-virgule, le point d'interrogation et les deux-points.